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28 décembre 2012 5 28 /12 /décembre /2012 14:19

Quoi donc des souvenirs mosovites ont-ils à voir avec la mer? Voici l'explication. En octobre 1951 nous avons décidé avec ma bien aimée de passer les quinze jours de vacances d'hiver à Leningrad. "Nous avons décidé"- ai-je dit au pluriel, mais l'idée, c'était elle qui l'a eue. Vésélina était son nom, elle était bulgare et son cher papa figurait sous le n°2 sur la liste des membres du gouvernement. Cette circonstance a son importance car, pour une personne domiciliée à Moscou, ce n'était pas une mince affaire que de se rendre "juste comme ça", pour une quinzaine de jours, à la cité de feu Pierre le Grand à l'époque et dans le pays en question. Il fallait posséder pour cela pouvoir, influence et multiples contacts sur place, pour être capable de transformer en réalité un rêve pareil. Nous n'avions rien de tout cela, mais "Papa" l'avait. Bien sûr, ce n'est qu'à présent, 60 ans après, que ça m'apparaît convaincant.

 

Quoi qu'il en soit, le 20 décembre nous débarquions dans la ville héroÏque légendaire ayant tenu tête aux hordes hitlériennes. De même refusa-t-elle à courber l'échine devant le pouvoir intérieur ayant rebaptisé la ville au nom de  Vladimi Ilyitch, disparu; ce baptême est resté nul et non avenu aux yeux des habitants de la cité qui, au quotidien,dans l avaient toujours refuser de désigner la cité et de parler d'elle autrement que "pityer", surnom d'enfance pour "Pierre", en mémoire du grand Tsar dont la ville portait le nom pendant plus que deux siècles. Durant notre séjour nous n'avons guère entendu d'autres appellation que "pityer" et ça nous a laissés pantois.

 

Au bout d'un an de vie mosovite je croyais avoir connu l'hiver russe. Cette erreur a été corrigée rapidement. Lors notre promenade "inaugurale",  le long de l'Avenue Nevskïe, un passant qui nous croise m'arrête brusquement du geste. Il ramasse une poignée de neige sur le bord du trottoir et, avec une allure sûre de connaisseur, sans hésitation m'administre un rapide massage du nez pendant quelques minutes. Sans cette intervention inopinée j'aurais peut-être eu de sérieux ennuis: les moins 10° de froid humide et venteux m'ont déjà transformé le nez en glaçon sans que je m'en aperçoive. Si, par exemple, dans ces circonstances, sans un tel massage vigoureux préventif on a la malchance de se retrouver dans un endroit chauffé, on peut dire adieu par la suite  à quelques'uns de ses doigts et à ses deux oreilles... De pareils incidents sont tenus pour banales; ça arrive la plupart du temps aux non-initiés, c'est pour ça que les habitants de souche les surveillent de près.

 

Il est temps d'entrer au vif du sujet.De l'instant où nous étions sur place,une idée fixe me travaillait:"voir la mer!" C'est la première occasion dans ma vie, je suis tout près du rivage, alors je veux le voir! Ceux de mon entourage me dévisagent d'un drôle d'air pour un souhait pareil, à commencer par Vésélina; mais je la désarme facilement : "Bien sûr, depuis ta petite enfance tu ne cesses de patouiller dans la Mer Noire!" l'argument a porté et on commençait nos investigations: comment faire pour arriver près de la mer? Il a fallu nous débrouiller nous-mêmes, on n'a pas pu se faire aider; les "piytierois"sont les pires casaniers qui soient, ils ne bougent pratiquement jamais de leur bien aimé centre-ville. Il y avait aussi une étrange circonstance: le régime soviétique était imbibé "d'espionnite aigü" - il ne fallait pas beaucoup de se voir coller l'étiquette "chpione", le mot russe pour espion, surtout quand on était étranger; pourtant, quoi de plus normal que de vouloir voir du pays! Eh bien, non, c'était louche à leurs yeux. En plus, il n'existait pas de plans, dans aucune ville, surtout pas pour ni pour Moscou, ni pour Léningrad: cela aurait pu aider les ennemis extérieurs du pays! Le délire, tout simplement! Bref, pour notre petite escapade, on devait recueillir chaque minuscule détail, point par point; tout était considéré "secret défense", littéralement ou presque. Mais on y est arrivés, on pouvait partir à l'aventure.

 

On allait emprunter les transports en commun, les dépenses de taxis étaient hors nos moyens. D'abord le trolleybus, puis le tramway, jusqu'au terminus. Pour terminer on grimpait dans une "Èléctritchka", sorte de RER, sauf que ce n'était ni réseau, ni expresse, ni régional. Il nous a cahotés une bonne heure. A son terminus le conducteur qui était aussi le receveur, quand on lui a demandé la direction de la mer, il a pointé l'index d'un mouvement hésitant vers l'avant, vers une plaine enneigée qui semblait se perdre au-delà de la ligne de l'horizon. Les rares voyageurs qui sont descendus ont pris la direction contraire et nous nous sommes retrouvés à deux, marchant dans de la neige qui crissait sous nos pieds. On était épuisés, notre escapade durait déjà depuis plus de trois heures, par un froid qui dépassait les moins 10°. Nous n'osions pas nous avouer l'un à l'autre qu'on était morts de fatigue. Au bout d'une demi-heure  on a enfin croisé un petit groupe d'une dizaine de jeunes gens qui chantaient à tue-tête fort émoussés: des goulots de bouteilles dépassaient des poches de leurs manteaux, c'est ce qui leur servait de carburant. Je me suis approché de celui qui semblait leur "chef", nu-tête malgré le froid glacial, et je posais ma question "rituelle": "où trouve-t-on la mer?" Il m'a regardé ébahi puis, éclatant d'un rire sonore: "Tu veux savoir où est la mer?! Mais tu marches dessus depuis belle lurette, mon bonhomme!" 

 

Et voilà l'histoire de ma première rencontre avec la mer. Elle est décevante peut-être, mais à coup sûr logique: après tout

en 1951 la guerre froide faisait rage !

 

 

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commentaires

J
Bàr nagyon nehéz volt, ezt is sikerült le forditanod. ha nem is sikerült olyan jol mint szokott
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G
Beau récit... j'adore la chute! Mais je croyais qu'il y avait un port à Saint-Petersbourg?
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P
<br /> <br /> Merci infiniment de ta fidélité et de tes commentaires adorables; affirmatif, il y a bien un port là-bas (c'est une ville de banlieue nommée «Cronstadt») mais à l'époque il était<br /> strictement défendu à tout étranger de le visiter... Tu parles: dans un pays où il n'y avait point de cartes routières ni de plans de ville (et de touristes non plus d'ailleurs)<br /> <br /> <br /> (mes excuses pour ce retard et aussi pour le fait de n'avoir pas encore trouvé la solution pour le problème des deux langues: dans l'immédiat je n'ai pas les moyens d'engager un traducteur et<br /> tout seul je n'y arrive guère...)<br /> <br /> <br /> <br />